Tagtik

Vuelta 1999 - Jimenez premier vainqueur de l'Angliru, l'épouvantail de la Vuelta

Ce mercredi, le Tour d’Espagne revient sur les pentes de l’Angliru. Sorti du néant, il y a une vingtaine d’années, ce col monstrueux aux pourcentages qui le sont plus encore, est rapidement devenu l'épouvantail de la Vuelta. Retour sur le premier vainqueur de l'Angliru, le regretté José Maria 'El Chava' Jimenez, mort 4 ans après avoir vaincu la montagne mais pas ses démons...

Une verrue monstrueuse dans les paysages champêtres des Asturies. Un col qui fait peur même aux meilleurs escaladeurs. Une légende. Bienvenue en enfer sur les pentes de l'Angliru, que le peloton devra escalader mercredi, pour se hisser sur la ligne d'arrivée de la dix-septième étape de la Vuelta. Après deux années d’absence, le col le plus dur du cyclisme pro peuple à nouveau les cauchemars des rescapés du Tour d'Espagne...

Découvert à la fin des années 1990 l’Alto de l’Angliru est introduit dans le parcours par les organisateurs espagnols lors de la Vuelta 1999. En plein coeur des Asturies, au sud-ouest d'Oviedo, il culmine à 1 710 mètres. Si la première partie de l’ascension présente des pourcentages irréguliers (une dizaine de kilomètres avec des passages variant de 11 à 18 %), les sept derniers kilomètres offrent des pentes monstrueuses. 22 %, puis suit un replat, à 9 % tout de même. Avant d’en finir avec de longs kilomètres où le dénivelé ne descend jamais en dessous des 20 %.

Dans son livre "Mountain High", le journaliste spécialisé Daniel Friebe révèle que c'est une lettre de l'Asturien Miguel Prieto, directeur de la communication de l'équipe ONCE, qui fit découvrir l'Angliru en 1996 aux organisateurs : "Il existe dans les Asturies, au milieu de la Sierra del Aramo, dans la municipalité de Riosa, à environ 15 km d'Oviedo, une montagne dont la route est à peine indiquée sur les cartes car c'est un chemin pour le bétail qui a été goudronné récemment.

Cette montagne est connue sous le nom de La Gamonal et son altitude est de 1 570 mètres. La montée fait 12 km de long pour un dénivelé d'un peu plus de 1 200 mètres, soit un pourcentage moyen légèrement supérieur à 10 %. Veuillez noter que les 7 derniers kilomètres de la montée ont une pente moyenne supérieure à 13 %, parsemée de nombreuses rampes à 20, 18, 17 et même 23,5 %.

Cette montée, si elle était utilisée, serait la garantie de graver des souvenirs inoubliables sur la rétine des spectateurs. Tout comme les Lagos de Covadonga sont devenus l'Alpe d'Huez espagnol, la Gamonal pourrait égaler et, sans exagérer, éclipser le Mortirolo italien."


Mais revenons sur l'édition 1999 de la Vuelta et sur la première arrivée à l'Angliru. Au départ de cette étape redoutée, tout le monde se demande qui écrira son nom dans les livres d'histoire en devenant le premier vainqueur de La Gamonal.

C'est le regretté José María Jiménez qui va réussir l'exploit en primeur et rester pour toujours sur les tablettes comme le premier à avoir vaincu le monstre. Avant cette Vuelta 1999, Jiménez, qui n'est plus un perdreau de l'année, a déjà disputé huit Grands Tours. Huitième sur le Tour de France 1997, sur le podium de la Vuelta un an plus tard (derrière son coéquipier Abraham Olano et Fernando Escartín), Jiménez est un pur montagnard mais un piètre rouleur.

Il remporte son premier succès d'étape sur la Vuelta en 1997, quelques mois après être devenu champion d'Espagne à l'âge de 26 ans. Sous la tutelle de Víctor Sastre, le père de son futur beau-frère, Carlos Sastre, vainqueur du Tour de France en 2008, Jiménez a remporté à quatre reprises le classement de la montagne de la Vuelta. En 1998, il remporte quatre étapes et porte le maillot de leader à deux reprises.

La première ascension en course de l'Angliru a lieu lors de la 8e étape de la Vuelta 1999, en fin de première semaine. Jiménez a déjà perdu du temps lors du contre-la-montre de la 6e étape (son point faible) à Salamanque, qu'il termine à la 85e place.

Avant l'Angliru, le peloton doit franchir deux montées de première catégorie, celles de la Cobertoria et du Cordal. La météo est venue ajouter son grain de sel sur cette étape de légende : froides averses de pluie et brouillard dense sont au rendez-vous : 90 des 171 coureurs du peloton ne pourront éviter la chute en cours d'étape.

120 000 fans trempés jusqu'aux os sont massés sur l'Angliru pour regarder cette épreuve de souffrance, la majorité d'entre eux se trouvant sur la section la plus raide, 23.5 % sur la section connue sous le nom de Cueña de las Cabres, à trois kilomètres du sommet.

A l'approche de l'Angliru, la sélection a déjà été faite. Ivanov roule seul en tête, poursuivi par un groupe avec Ullrich, Heras, Rubiera, Tonkov et... Jiménez. Un peu plus loin, Casero, Olano, Zarrabeitia et Rebellin sont en poursuite.

Tonkov, vainqueur du Giro 1996, attaque le premier dans la montée et rejoint Ivanov. À 6 km de l'arrivée, Heras accélère pour mettre Ullrich sous pression. Jimenez place quelques premières banderilles.

Heras et Jiménez se détachent. A environ 2,5 km de l'arrivée, Jiménez place une nouvelle accélération et abandonne Heras dans la brume. Mais Tonkov est toujours devant !

Pour les millions de fans devant leur télévision, la course, folle, devient impossible à suivre : le brouillard, la pluie sur l'objectif de la caméra, les coupures dans la retransmission contribuent à la confusion générale : les commentateurs ne sont plus certains de rien.

À 1500 mètres du sommet, Jiménez est toujours pointé à 40 secondes de Tonkov mais les seules images disponibles pour le réalisateur sont celles du Russe.

Soudain, alors que la route s'aplanit après le sommet, Jiménez apparaît dans la roue de Tonkov, à la plus grande surprise des commentateurs.

Eblouie par la lumière des phares, la caméra fixe installée à l'arrivée montre les deux coureurs ayant déjà franchi la ligne d'arrivée, que Jiménez avait passé en vainqueur avec une longueur d'avance, incapable de lever les bras. La légende de l'Angliru est née.



Gilberto Simoni en 2000, Robert Heras en 2002, Alberto Contador, en 2008 et en 2017, Wout Poels en 2011, Kenny Elissonde en 2013 et Hugh Carthy en 2020 ont depuis inscrit leur nom au palmarès de l’ascension qui sera mercredi 13 septembre le grand moment du Tour d’Espagne. Car l'Angliru est devenu un col où pas mal de champions rêvent de s’imposer. Une victoire au sommet fait de vous pour l'éternité un héros de la montagne.

Début 2002, alors qu'il vient de terminer un entraînement particulièrement exigeant autour de sa ville natale d'Avila, Jimenez s'affale dans le fauteuil de son salon et reste prostré de longues heures. Il se met au lit, ferme les fenêtres de sa maison et se coupe du reste du monde pendant des jours entiers, alors que – selon ses propres termes, plus tard – "une profonde tempête [lui] a envahi le cerveau et tout a commencé à tourner en sens contraire".

Peu après, le champion contacte son directeur de course, Eusebio Unzue, et lui dit: "Je ne veux plus jamais courir de ma vie; je n'ai plus de force pour cela." Plus tard, on l'interne dans une clinique psychiatrique à Madrid. En un an, son poids passe de 70 à 120 kg.

4 ans après avoir vaincu l'Angliru, mais pas ses démons, José Maria Jiménez décédera d'une crise cardiaque, le 6 décembre 2003 dans un hôpital psychiatrique de Madrid, peu de temps après avoir été foudroyé par cette dépression.

Vingt ans plus tard, certains jours, la silhouette fantômatique d'El Chava flotte encore, les jours de brouillard dans la Cueña de las Cabres...

(LpR/Picture : chpt)

LpR

LpR

Journaliste FR @Tagtik - Rubriques politique - société - économie - conflits

Pour aller plus loin